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La Chambre Rouge

Avertissement en forme de désaveu :

Les caractères et les situations de la série télévisée " X-Files Aux Frontières du Réel" ont été créés par et appartiennent à Chris Carter et au réseau de diffusion Fox Broadcasting. Ils sont utilisés ici sans leur permission, mais sans volonté de commettre un délit de contrefaçon. Le même type de restriction s'appliquent aux personnages de "Twin Peaks", qu'ils appartiennent à Lynch, Frost, ou qui que soit d'autre !

Petite annonce pour ceux qui voudraient voter pour la rediffusion de Twin Peaks :

Aidez-nous!!!

 

1

Au début, il y avait la forêt. Une forêt de conifères, splendides, élancés vers le ciel comme les piliers d'une cathédrale, plongée dans l'ombre et le silence. Était-ce la nuit ? Sans doute. Pourtant, il semblait bien y avoir une lumière quelque part en avant, une lumière blanche, qui peu à peu s'intensifiait. Les troncs des pins se découpaient sur elle en silhouettes majestueuses, qui gagnaient en netteté, comme une radiographie en négatif. Peut-être était-ce la lune qui inondait cette partie du bois par la trouée d'une clairière. Non, même une pleine lune n'éclairerait pas avec une telle force ; à mesure que la source semblait plus proche, la clarté se faisait plus aveuglante, et le bruit, d'abord imperceptible, gagnait lui aussi en puissance. Un bruit qui ressemblait à un hurlement au ralenti, quelque chose de mécanique mais en même temps terriblement oppressant pour les nerfs. Plonger au centre de la lumière semblait la seule solution, le seul espoir d'échapper à ce son métallique et vibrant, qui résonnait jusqu'au centre des os. Au-delà de la lumière blanche, il y avait une grande pièce, qui semblait presque entièrement vide. En s'allumant l'un après l'autre, les néons qui tapissaient le plafond révélèrent d'abord de lourds rideaux rouges, qui paraissaient faire office de murs. Dans un des coins, quelques meubles étaient assemblés qui dressaient une sorte de salon : un canapé, deux fauteuils, une lampe. Dans un des fauteuils était assis un nain, assez âgé, habillé tout de rouge, et qui semblait presque choqué : "Que faites-vous là ? Ce n'est pas votre heure ! Ma chanson n'est pas encore prête pour vous. Et je vous interdis de passer par la porte blanche ! " Sa voix était difficilement compréhensible, comme trafiquée, entendue à travers une distorsion du temps. Dès qu'il eut fini de parler, le voyage reprit, en accéléré, et en sens inverse : sortie de la chambre rouge (pourquoi chambre ? Cela ressemblait tout autant à une chambre qu'à une salle d'attente, mais étrangement, cela semblait la meilleure façon de décrire cet endroit : la chambre rouge), passage à travers la lumière blanche, fuite à travers la forêt. Puis de nouveau, un son retentit, cette fois-ci beaucoup plus aigu, et surtout beaucoup plus fort, rapidement insupportable, et qui finalement déchira le sommeil de Scully. Téléphone. Scully laissa encore résonner deux sonneries, afin de reprendre un peu ses repères, et juste avant que le répondeur ne prenne la situation en main, elle décrocha.

- Scully ? C'est Mulder. Tu ne dormais pas encore, j'espère ?

- Quelle heure il est ? bailla Scully en réponse, tandis qu'un coup d'œil sur sa pendule de table de nuit lui donnait la réponse : 11h21. Si, en fait, tu me réveilles, d'un rêve bizarre, d'ailleurs : je crois bien que j'étais une chouette. En tous cas, je volais à travers une forêt. Ce n'était pas désagréable...

- Euh, désolé, mais le Bureau vient d'appeler, et nous partons demain matin, pour Twin Peaks. C'est une petite ville dans le nord de l'état de Washington. Il semble qu'il y ait un problème là-haut, qui soit disons de notre ressort.

- Quel sorte de problème ? Un psychopathe extraterrestre qui fait du trafic avec le Canada ? demanda-t-elle en se redressant dans son lit, cherchant une position plus confortable, maintenant bien réveillée.

- Presque ! Pour l'instant je n'ai pas le dossier complet. Il semble qu'un certain agent Cooper, présent à Twin Peaks pour une affaire d'homicide depuis à peu près un mois, ait demandé de l'aide suite à certaines complications dans son enquête.

- Quel genre de complications ?

- Pour le moment, ça reste assez confus. En fait, l'agent Cooper a repéré le criminel, qui s'est d'ailleurs suicidé peu après, et c'est depuis qu'il semble que des éléments nouveaux soient apparus, que le Bureau a du mal a analyser rationnellement. C'est pourquoi c'est nous qui partons visiter le Grand Nord ! Je passe te prendre demain matin. J'espère que j'aurai reçu le dossier complet d'ici là. Tu pourras le lire pendant le voyage.

- OK. A demain alors !

- A demain. Et fais de beaux rêves.

2

Scully referma finalement le classeur, et son regard dériva par la vitre de la portière sur les arbres et la montagne. Depuis qu'ils étaient montés dans la voiture de location, à la sortie de l'avion, elle s'était concentrée sur le rapport, prenant des notes de temps en temps, et essayant de comprendre et de compléter tout ce que ces quelques dizaines de pages n'expliquaient pas.

- Alors, qu'en penses-tu, Scully ? interrogea Mulder, qui jusque là sifflotait en écoutant la radio, profitant tout en conduisant du magnifique paysage.

- Je penses d'abord qu'il manque des pièces. Tout ça pose beaucoup plus de questions que ça n'offre de réponses. Je sais que nous avons l'habitude de travailler à partir de dossiers rudimentaires, parfois parce qu'ils ont été trop rapidement écrits, et parfois parce que certains éléments sont délibérément camouflés, mais celui-ci bat tous les records !

- Et à quelle catégorie appartient-il ? Mal rédigé, ou trafiqué ?

- Un peu des deux. Je veux bien croire que tout ça s'est passé relativement vite, et que les rapports de cet agent Cooper n'ont peut-être pas été tous encore vérifiés, ou même qu'il ne les a pas tous terminés, mais par exemple, la présence d'un Major de l'US Air Force dans ce coin perdu n'est sûrement pas lié au hasard, et n'est pas expliquée ! Ni le passé précis de cet autre agent, Earle, dont le rôle semble pourtant essentiel en ce qui concerne les événements les plus récents ! On nous cache des choses, ça saute aux yeux.

- C'est aussi ce qu'il me semblait. Mais reprenons méthodiquement. D'abord, que savons-nous de ce qui s'est passé à Twin Peaks depuis un mois ?

Scully opine, tourne quelques pages sur son carnet, et résume les faits.

- Le 24 Février, une femme est retrouvée morte, assassinée : Laura Palmer. Deux semaines plus tard, sa cousine est à son tour tuée. L'agent Cooper découvre finalement que l'auteur des deux crimes est Leland Palmer, le père de la première victime. Mais il aurait agi sous l'influence d'une entité psychique appelée BOB. Toujours est-il que ce Leland Palmer s'est suicidé dans sa cellule, à moins que ce ne soit ce BOB qui l'ait tué pour pouvoir s'enfuir. Après quoi, un ancien agent du FBI, Windom Earle, qui a été emprisonné pour folie dangereuse et s'est échappé il y a quatre ans, refait surface. Il semblerait que Earle soit à la recherche d'un lieu appelé Black Lodge, dont BOB serait originaire. Il tue plusieurs personnes, séquestre le Major Briggs, puis kidnappe une jeune femme appelée Annie Blackburn. Earle et Blackburn disparaissent, sans doute en direction de Black Lodge, ainsi que l'agent Cooper, parti à leur poursuite. Cooper et Blackburn sont retrouvées quelques heures plus tard, dans le coma. Mais le lendemain, c'est-à-dire hier, alors que Cooper demande à être mis en prison pour raison de sécurité, un deuxième corps d'Annie Blackburn est retrouvé, mais cette fois-ci morte.

- Un deuxième corps d'Annie Blackburn... Ca laisse rêveur ...

Il lui adressa un petit sourire, elle lui répondit par un regard oblique qui faisait office de réprimande pour son manque d'attention. Le silence se prolongea jusqu'à ce qu'elle reprenne ses notes.

- En fait, le rapport indique seulement que les deux corps ont été formellement reconnus l'un et l'autre comme étant celui d'Annie Blackburn. Mais aucun examen approfondi, sanguin, génétique, ou autre, ne semble avoir été mené pour savoir exactement à qui, ou a quoi, on a affaire. Je pense donc que c'est par là que je vais commencer.

- Très bien. Et tandis que tu t'occuperas des morts, je m'occuperai des vivants ! Dale Cooper, je suppose, pour commencer. Finalement, son séjour dans une petite ville de province semble avoir été plutôt bien rempli !

- Et qui s'occupera de l'ex-agent Windom Earle ? Il n'y a dans ce rapport aucune ligne qui ne ferait que s'interroger sur le fait de savoir s'il est encore vivant ou mort !

3

3.1

Le shérif Harry S. Truman les attendait à la réception de l'hôpital ; il discutait avec un médecin, qu'il semblait essayer de rassurer, ou de consoler, comme si cet homme aux cheveux gris, et au regard profond mais fatigué, venait de subir un lot trop important d'épreuves. Le chapeau à larges bords que portait le shérif lui donnait l'air d'un enfant déguisé, mais lui aussi semblait puiser sur ses réserves pour lutter contre l'abattement. Les derniers temps avaient été durs pour ces deux hommes, qui accueillirent pourtant chaleureusement Mulder et Scully. Le shérif leur présenta le Docteur Hayward, et tous les quatre se dirigèrent vers la morgue, au sous-sol. Ils expliquèrent qu'ils avaient pour le moment tenu secrète la découverte du corps. Inutile d'affoler la population : elle était déjà choquée par les événements de l'avant-veille. Pour pouvoir enlever Annie Blackburn, Windom Earle avait provoqué un mouvement de panique dans la salle des fêtes, où la jeune femme venait d'être élue Miss Twin Peaks de l'année. Son retour, mais dans le coma, n'avait apporté qu'un faible réconfort. C'était Hawk, un adjoint du shérif, qui avait découvert Annie, pour la deuxième fois, exactement à l'endroit où elle avait été trouvée la première fois par Truman, dans une clairière, près de l'entrée de Black Lodge. Ce qu'était Black Lodge, seul l'agent Cooper pourrait répondre. Lui seul y était entré. Le shérif n'avait pas réussi à le suivre. Lorsque Cooper avait appris la découverte du corps, il avait exigé d'être enfermé, car il pensait pouvoir être dangereux. C'est pourquoi il avait demandé de l'aide au FBI, qu'ils envoient de nouveaux agents pour le remplacer. C'est lui aussi, qui avait demandé que le secret soit gardé sur l'existence de la morte. Du coup, ils avaient caché le corps, dans l'ancienne morgue. Ils étaient désolés pour l'éclairage, mais cet endroit n'était plus utilisé depuis longtemps.

Effectivement, ils venaient d'entrer, après avoir vérifié que personne ne les remarquait, dans une aile visiblement abandonnée du sous-sol de l'hôpital. Une vague odeur de poussière flottait partout, et un bon nombre de néons ne marchaient plus. Cela empira quand ils entrèrent dans l'ancienne morgue : plusieurs tubes se mirent à clignoter bruyamment, refusant d'atteindre leur équilibre. Au milieu de la petite pièce, la jeune femme morte les attendait, allongée sur une table métallique. Une grosse lampe circulaire permit de l'éclairer correctement, malgrè les clignotements exaspérants et bourdonnants du plafond. De longs cheveux blonds, qu'une lumière plus naturelle aurait peut-être paré de reflets roux, ondulaient sur ses épaules et auréolaient son visage rectangulaire, beau et paisible, aux yeux fermés, de princesse attendant son prince charmant. Ils restèrent un moment silencieux autour d'elle, respectueux ou craintifs, et ce fut Scully qui brisa le silence.

- Docteur, quels examens avez-vous fait, pour l'instant ?

- Aucun. Dès que Hawk me l'a amenée, nous l'avons transporté ici, et depuis plus personne ne l'a touchée. Tout ça me dépasse, vous savez. J'aurai trop peur de commettre une erreur irréparable. Mais si vous avez besoin d'aide, je peux vous assister, bien sur.

- Non. Merci beaucoup, mais j'ai l'habitude de travailler seule. Je me concentre mieux.

- Très bien. En ce cas, je vais retourner voir un de mes patients. Si vous avez besoin de moi, Shérif, je serais dans la chambre de Monsieur Horne. Il a peut-être encore besoin de moi.

- Écoutez docteur, je sais que ce n'est pas à moi de dire ça, mais ne vous en faites pas, je suis sur qu'il va s'en sortir.

- Que Dieu vous entende, Shérif. Car sinon, je ne sais pas si je pourrais le supporter.

Ils laissèrent le bruit de ses pas s'atténuer dans le couloir, mais Truman ne semblait pas du tout disposé à expliquer le sens de leurs dernières paroles, si bien que finalement Mulder lui demanda de l'emmener voir l'autre Annie Blackburn. Dès qu'ils eurent quitté la pièce, Scully sortit son petit magnétophone, et se mit au travail.

3.2

Derrière la porte qui conduisait à l'aile abandonnée, une femme attendait. Visiblement, elle avait renoncé à tout effort de coquetterie, et les rides qui commençaient à envahir son visage, les grandes lunettes qui mangeaient ses joues, le rictus qui déformaient ses lèvres comme si elle s'apprêtait à cracher, lui donnaient l'air d'une sorcière vieillissante. De plus, elle portait dans ses bras une bûche d'assez imposante allure, à la fois vaguement ridicule et vaguement menaçante. Tandis que le Shérif marquait un léger temps d'arrêt en la voyant, elle dévisagea intensément Mulder, plissa la bouche dans une expression indéchiffrable, puis s'éloigna à grands pas.

- Ne faites pas trop attention, conseilla Truman tandis qu'ils attendaient l'ascenseur. Ici, on l'appelle "la dame à la bûche". Elle s'appelle Margaret Lanterman. Parfois, sa bûche lui parle, mais se sont souvent des énigmes.

- C'est parfois le visage que la vérité préfère, non ?

3.3

Arrivés au rez-de-chaussée, ils se dirigèrent vers la chambre où Annie avait été installée, mais une infirmière retint Truman au passage : il était demandé au téléphone. Mulder arriva donc seul devant la porte de la malade ; il frappa, presque par habitude, et fut surpris d'entendre quelqu'un venir lui ouvrir. C'était une femme, blonde. Les larmes et la fatigue avaient tracés quelques sillons sur son visage, qu'elle s'efforçait d'atténuer par un sourire. Après s'être présenté, il s'approcha du lit. Annie offrait presque le même visage ici qu'au sous-sol, le même calme, la même sérénité angélique. Mais ici, on sentait le sang parcourir la peau, le mince mouvement rythmique de la respiration, c'était le soleil qui baignait sa tête de lumière douce, et on entendait, venant du parc, quelques chants d'oiseaux.

- Bienvenue au palais de la Belle au Bois Dormant. Je suis sa sœur, Norma Jennings. Et aujourd'hui, je suis sa gardienne. C'est cela, être l'ainée : il faut toujours surveiller les petits ! J'aurais aimé vous offrir un café, mais celui de la machine est vraiment infect. Demain, j'emmènerai de quoi m'en préparer. A vrai dire, j'ignore combien de temps je vais rester ici, à attendre qu'elle se réveille...

Mulder n'avait aucune difficulté à deviner sa peur et son désespoir. Combien de temps était-il resté auprès de Scully avant qu'elle ne revienne à elle, que son organisme réussisse à vaincre la drogue qu'ils lui avaient injecté, que son désir de vivre redevienne le plus fort.

- Je sais combien cela peut parfois paraître futile ; être là et attendre, on croit que cela est inutile, on ne sait même pas si elle vous entend, si elle sait qu'on est à ses cotés. Je suis passé par là, j'ai vécu cela, moi aussi. Je suis resté des heures auprès de ma coéquipière, persuadé de ne servir à rien, à souffrir et à avoir peur. Elle est restée dans le coma pendant trois jours. Trois jours ! A certains moments, je ne voulais plus venir. C'était devenu trop douloureux. C'est sa sœur qui m'a obligé à continuer, qui m'a permis de trouver le courage de continuer à venir. C'est important, les sœurs ! Et finalement, Dana s'en est sortie. Elle nous a dit qu'elle savait que nous étions là. Elle sentait notre amour autour d'elle, qui la forçait à remonter. Elle nous a dit que sans nous, elle se serait sans doute laissé aller. Qu'elle n'aurait jamais regagné la berge.

- Merci.

De petites larmes glissaient sur ses joues, qu'elle essuya du revers de la main. Dans ses yeux, le merci n'était pas une formule de politesse.

- Je sais que ce sont des moments pénibles. Mais si elle a l'air de dormir paisiblement, son esprit traverse des moments bien plus pénibles que les nôtres. Elle a besoin de vous à ses cotés, au maximum. Ne perdez jamais courage.

Tout cela lui rappelait trop les heures qu'il avait passées alors au chevet de Scully, déchiré d'angoisse, n'attendant que l'occasion de pouvoir se venger, leur faire payer ce qu'ils lui avaient fait subir. Terribles heures, dont les semaines passées depuis n'avaient qu'à peine allégé le poids, qui encore le faisaient souffrir, particulièrement quand elle prenait de nouveaux risques insensés. Que cela n'arrive jamais plus...

Il serait resté là longtemps, à regarder la femme allongée sous les draps que son esprit remplaçait par une autre, à ressasser ces souvenirs, à rouvrir cette blessure si mal cicatrisée parce qu'elle était trop liée à d'autres blessures plus anciennes et encore vivaces, si Norma n'avait posé sa main sur son épaule, pour à son tour lui apporter un peu de réconfort.

- Votre coéquipière, vous l'aimez, n'est-ce pas ?

3.4

A ce moment, le téléphone sonna dans le poche intérieure de la veste de Mulder. Il le dégaina aussitôt, s'écartant de Norma, contemplant les arbres du parc tandis que la voix de Scully chuchotait dans son oreille. Elle avait trouvé quelque chose sur le cadavre. Un morceau de papier caché sous l'ongle de l'annulaire droit, avec un E d'imprimerie dessus.

Mulder s'excusa auprès de Norma, et sortit dans le couloir pour poursuivre la conversation plus discrètement.

- Et les causes de la mort ? As-tu une idée ?

- Non, pas pour l'instant. Pas de blessures, pas de traumatisme, pas de trace de maladie grave non plus. Son corps est en parfait état. Un peu trop parfait, même. Son tube digestif était vide, Mulder, et sa vessie aussi. A se demander si ce corps a même jamais été vivant !J'ai fait des prélèvements, et je vais essayer de retrouver le Docteur Hayward, pour qu'il m'amène aux labos de l'hôpital. Mais certains échantillons devront être envoyés à Seattle, donc nous n'aurons les résultats complets que dans un ou deux jours.

- OK. Tu en as pour combien de temps, au labo ?

- Je ne sais pas trop, une heure, tout au plus. Le reste pourra attendre qu'on est déjeuné, je commence à mourir de faim.

- Très bien. Moi aussi. En attendant, je vais rendre visite à cet agent, Dale Cooper. On s'appelle pour le déjeuner ?

- OK.

4

4.1

Il rempochait le téléphone dans sa poche quand arriva un adjoint du Shérif, un grand indien à la démarche lente, qui se présenta comme l'adjoint Hawk et expliqua que le Shérif avait été obligé de partir régler une affaire de scène de ménages. Ce fut donc Hawk qui amena Mulder au commissariat de police. Cet homme possédait une qualité de silence étonnante, sans la moindre trace de mépris ni de timidité. Pour Mulder, c'était un soulagement de constater que tous n'avaient pas cédé à la vague des événements, et que certains savaient apparemment garder la tête froide. De tout le trajet, sa seule parole fut pour Cooper.

- L'agent Cooper n'est pas un homme ordinaire. Son esprit est clair comme un cristal, et son cœur pur comme un diamant. C'est un homme bon. Il a plongé dans Black Lodge sans que son courage ne vacille une seule seconde, par amour pour Annie Blackburn. Nous avons cru qu'il avait réussi, qu'il l'avait sauvé, et qu'il s'était sauvé lui aussi. Lui aussi le croyait. La découverte du second corps a été un choc terrible pour lui. Quelque chose a été brisé. Vous allez rencontrer un homme qui lutte contre lui-même pour atteindre à nouveau sa vérité.

Pour une fois, Mulder ne trouva rien à répliquer.

4.2

Le commissariat était une belle bâtisse, construite en grande partie en bois, comme la majorité des habitations de Twin Peaks. Le rez-de-chaussée était composé d'un hall en forme de large couloir, qui conduisait à de nombreuses salles de réunions et bureaux de travail. Hawk présenta Mulder à la standardiste, Lucy, qui tricotait de la layette, pour son neveu, crut-elle bon d'expliquer. Après quoi ils descendirent dans les geôles. Là, plus aucune trace de bois : des murs en briques nues, et des grilles de métal noir. Un peu plus loin, quelques cellules individuelles, aux portes blindées. C'était dans l'une d'elles que Cooper avait demandé à être enfermé.

Il était clair que Hawk ne comptait pas le traiter comme un prisonnier. Il frappa à la porte de la cellule, et sur l'invitation de Cooper, fit entrer Mulder. Un FBI typique, cet agent Dale Cooper : son costume n'avait pas un pli, sa cravate était ordinaire au possible, pas un cheveu ne dépassait de sa coupe stricte. Cependant son sourire semblait franc et sincère, sa poignée de mains était ferme mais sans ostentation. Mulder décida de lui accorder le bénéfice du doute.

- Dites-moi, agent Cooper, les raisons qui vous ont poussé à vous enfermer n'étaient pas très explicites, dans votre rapport. De quel danger essayez-vous de vous protéger ?

- Agent Mulder, parfois la logique doit s'incliner devant l'instinct. Je suis passé ces dernières 48 heures par des chemins que peu d'êtres humains ont parcouru avant moi. Ces chemins n'étaient pas éclairés par la raison ; j'y ai été dépouillé de quelques certitudes, et je dois maintenant apprendre à vivre sans. Je crois m'être rencontré dans ce lieu, ou plutôt avoir rencontré une autre manifestation de moi-même ; j'ignore dans quelle mesure cette confrontation m'a altéré ; plus exactement, j'ignore qui de nous deux est sorti ; et c'est cette incertitude qui m'a poussé à me faire enfermer : il se peut que je sois devenu extrêmement dangereux. Pour moi-même, et plus encore pour les êtres qui me sont chers.

- Vous avez peur d'être devenu un danger pour Annie Blackburn ?

- Oui. Hawk m'avait prévenu. Je n'avais jamais eu peur en ce monde, mais il y a d'autres mondes. J'ai été profondément déstabilisé par mon passage dans la chambre rouge. Vous ne savez pas les portes que peuvent ouvrir la peur, et la haine. Avez-vous examiné le corps d'Annie Blackburn ? Avez-vous regardé sous ses ongles ?

- L'agent Scully a effectivement découvert un morceau de papier sous son annulaire droit. Il y a un E imprimé dessus. Vous savez ce que cela signifie ?

- Un E, sous l'annulaire droit... Il y a eu un T pour Teresa Banks. Laura Palmer portait un R, et Maddy Fergusson un B. Sur chaque victime de BOB, une lettre de son prénom : sa signature. Mais c'était toujours sous l'annulaire gauche. Alors est-ce encore lui qui signe ? Ou un nouvel allié ? Dont le prénom finirait par un E ? Cette information n'est pas rassurante.

- Vous êtes pale, vous vous sentez bien ?

- Non, pas vraiment. J'ai besoin d'un peu de repos. Il faut que je réussisse à faire le vide, pour que la paix retrouve sa place. Revenez me voir, j'essaierai de vous aider dans votre enquête. Pour l'instant malheureusement, je crains que vous ne soyez seul pour affronter cette affaire.

- J'ai l'habitude...

Mulder avait son petit sourire fatigué. Il quitta la cellule avec Hawk, laissant Cooper assis les yeux fermés dans la faible lueur du soupirail. Mulder se demanda quelles prières murmuraient ses lèvres, à quelles puissances elles s'adressaient.
 

5

5.1

La petite brune remplit à nouveau les deux tasses, et Mulder ne put s'empêcher de la complimenter sur la qualité de son café. Elle sourit, d'une charmante façon.

- Tout le monde le dit, je vais finir par le croire ! Vous êtes sur de ne pas vouloir de tarte, celle aux cerises est connue, vous savez ?

- Non, merci, c'est mauvais pour son cholestérol, répliqua Scully. La serveuse s'éloigna, portant son café de table en table comme d'autres apportent la Bonne Nouvelle.

- Depuis quand vous inquiétez-vous pour mon cholestérol, Docteur Scully ?

- Depuis que tu t'intéresses plus aux serveuses de ce bar qu'à notre boulot ! Nous avons un cadavre surgi de nulle part sur les bras, un agent qui a perdu les pédales et un esprit du mal aux tendances psychopathes, alors j'aimerais que tu t'impliques un peu plus ! A moins que tu attendes que les extraterrestres se mêlent à la partie ?

- Tu veux que je te dises, Scully ? j'ai l'impression que nous ne sommes qu'au début de notre enquête. D'autres éléments vont sûrement venir la compliquer. Par exemple, ce Major de l'US Air Force, eh bien, le voilà qui vient nous voir, accompagné du Shérif Truman.

- Oh mon Dieu !

Elle venait de se retourner pour les voir entrer, et maintenant se tenait le visage, comme frappée de stupeur.

- Scully, qu'est-ce qu'il y a ? Que se passe-t-il ? Parles-moi !

- Mon Dieu, Mulder, ce Major, c'est mon père !

- Tu veux dire que cet homme ressemble à ton père ?

- Ce n'est pas une ressemblance, c'est un sosie, c'est son double ! C'est impossible !

5.2

Cependant les deux hommes avaient fini de traverser la salle du restaurant R&R et arrivaient à hauteur de leur table. Scully ne pouvait quitter des yeux le visage du Major, qui lui demanda si ça allait. Aussitôt, Mulder la sentit se détendre, respirer à nouveau profondément, comme si un envoûtement avait été brisé, et elle lui glissa dans un chuchotis "Ce n'est pas sa voix...". Cela sembla assez amusant à Mulder que pour une fois, ce soit à lui de demander qu'on excuse le comportement anormal de sa collègue.

- Cela peut vous sembler étrange, mais il se trouve que vous ressemblez énormément au père de ma coéquipière ; son père est mort l'année dernière, et il était militaire lui aussi, dans la Marine ; d'où son émotion.

- C'est étrange, en effet, admit le Major Briggs. D'autant plus que vous aussi me faites penser à quelqu'un, un agent des Stupéfiants qui est venu travailler ici il y a à peine quelques semaines.

- Mais c'est vrai, s'exclama le shérif Truman. L'agent Dennis Bryson ! Mais il se faisait appeler Denise... Il faut dire qu'il s'habillait en femme, continua-t-il assez gêné. C'est pourquoi je n'avais pas remarqué la ressemblance. Mais ceci mis à part, c'est vrai que vous lui ressemblez énormément. Vous le connaissez ?

- Un agent des Stups déguisé en femme ? Non, je ne connais pas. Mais cela fait beaucoup de coïncidences plutôt bizarres.

- Quand les coïncidences deviennent trop nombreuses, c'est qu'elles sont intentionnelles.

- Et la question est alors : qui les organisent, et dans quel but ?

- Agent Mulder, je ne pense pas posséder la réponse à cette question. Mais j'ai peut-être quelques éléments d'information. Trop souvent, aux questions sur ma mission ici, j'ai du répondre "C'est top secret", ou "Je ne suis pas habilité à répondre à cette question". Ces réponses étaient supposés protéger des secrets d'état. Elles n'ont pas protégées les vies de Laura Palmer, ou de Maddie Fergusson. Elles n'ont pas protégées la sécurité de Twin Peaks. J'ai récemment décidé de changer cette attitude, et de révéler davantage les faits dont j'aurais connaissance. Comme je l'ai déjà expliqué à l'agent Cooper, je suis ici dans le cadre du prolongement du projet BlueBook.

- Bluebook ! s'exclama Mulder, que Scully avait rarement vu aussi stupéfait. LE projet d'études sur les OVNIs, arrêté en 1969 ! Donc, vous confirmez que le projet a été prolongé !? J'en étais sur ! Plus de 20 ans qu'ils savent que les extra-terrestres existent et qu'ils le cachent ! Vous êtes parti des technologies du vaisseau de Roswell, n'est-ce pas ? Jusqu'où êtes-vous arrivé ?

- Je ne connais pas l'intégralité des retombées du projet ; nous sommes très compartimentés, cela permet au projet de rester secret. Je suis désolé de vous décevoir, mais le doute reste notre principale ligne de conduite. Ici, nous nous concentrons sur l'écoute des signaux radios. La région semble avoir été de tous temps le siège d'un intense bombardement électromagnétique, dont l'intensité décrit des cycles d'environ 5 ans. Nous pensions que l'origine de ces ondes était l'espace profond, c'est pourquoi nous avons décidé de les étudier. Finalement, ce ne sont pas des signaux extra-terrestres : ils proviennent de la forêt de Twin Peaks. Plus exactement, de Glastonberry Grove.

- C'est l'endroit où se trouve la porte que Cooper a trouvé vers Black Lodge, expliqua Truman.

- Je pense avoir moi-même emprunté cette porte, continua Briggs, mais pour atteindre l'autre partie de ce monde souterrain, White Lodge. Malheureusement, tous mes souvenirs de cette expérience sont occultés par une image écran particulièrement puissante.

- White Lodge, Black Lodge, c'est quoi, exactement ? demanda Scully.

- C'est difficile à préciser. Ces lieux n'appartiennent qu'en partie à notre monde. Ils n'apparaissent que quand le cycle dont je parlais précédemment est au plus haut. Des points d'accès se forment, que certaines personnes peuvent emprunter, dans un sens ou dans l'autre. De vieilles légendes les décrivent comme des lieux où de grands pouvoirs magiques peuvent être acquis, mais au prix de grands dangers : légendes classiques, utilisant les principes de la lutte du bien contre le mal, les rites de passage à l'âge adulte, etc. Mais la réalité semble donner raison à ces légendes : de multiples indices indiquent de façon presque certaine que BOB, l'entité responsable de la mort de Laura Palmer et de Maddie Fergusson, provient de Black Lodge. Nous avons eu un aperçu du mal dont il est capable. Je crains malheureusement que d'autres esprits puissent venir le seconder, maintenant que la vague de radiations est au plus haut.

- C'est ce que semblait craindre l'agent Cooper, en effet.

- Mais si BOB vient de Black Lodge, qui est venu de White Lodge ?

Ils restèrent silencieux un moment, sans doute parce qu'il n'y avait aucune réponse sure à la question de Scully. Ni Briggs, ni Truman, n'osaient émettre l'hypothèse qui les inquiétait le plus : personne n'était venu de White Lodge ; ce n'était pas une lutte du bien contre le mal, mais le mal seul envahissant le monde ; le mal que les hommes font, se retournant définitivement contre eux. Puis finalement, Truman proposa :

- Il y a bien MIKE, celui qui s'est présenté comme un ancien compagnon de BOB, qui s'est convertit et le combat maintenant. Mais il a disparu. Il avait pris possession d'un manchot, qui vendait des chaussures. MIKE n'apparaissait que quand cet homme cessait de prendre sa drogue ...

- Du Haliperidol.

- C'est un antipsychotique très puissant, se rappela Scully. Mais qui entraîne de nombreux effets secondaires plus ou moins désagréables, si je me rappelle bien...

- Peut-être étaient-ce ces effets secondaires dont il avait besoin...

- Anxiété, insomnie, aggravation des tendances suicidaires, maladie de Parkinson... Qu'est-ce qui pourrait lui être utile là-dedans ?

La serveuse brune revint à cet instant proposer de nouveau du café. Mulder profita de la diversion, pour déclarer la séance close, et se lever. Scully fit ses adieux en vitesse, et le suivit.

Une fois dans la voiture, il explosa, avant même qu'elle ne réclame des explications pour sa conduite.

- Et voilà ! Un Shérif et un Major ! Une belle histoire ! Un joli conte, oui ! Avec des extraterrestres, le BlueBook, carrément ! Et des drogues, sûrement spécialement pour toi, Scully ! Comment avons-nous pu croire qu'on pouvait leur faire confiance ! L'innocent et le sage, joli couple pour nous mener en bateau !Je ne sais pas quels secrets ils ont à cacher, mais ça doit être un gros morceau, pour qu'ils aient fait l'effort d'inventer une telle histoire. Surtout qu'ils ont du avoir accès à nos dossiers, pour savoir exactement comment nous aguicher. S'il n'y avait pas le cas d'Annie Blackburn, je partirais d'ici sur le champ. Cette histoire pue, Scully ! Elle est trop parfaite pour être vrai.

- Ok, ok, calme-toi. Nous allons à l'hôtel déposer nos affaires, personnellement je prendrais bien une douche, et ensuite on verra. Je n'aurais les résultats des analyses que demain, d'ici là, attendons !

6

L'hôtel du Grand Nord était construit au-dessus de magnifiques et spectaculaires chutes d'eau, un peu à l'écart de la ville. Il suffisait de tendre l'oreille pour en entendre le fracas que la distance transformait en un murmure apaisant. Presque tout était construit en bois : les murs, les charpentes, le toit, l'essentiel du mobilier, même la décoration. Pourtant, cela ne ressemblait pas à une attraction pour touristes ; plutôt la concrétisation du rêve d'un amoureux de ce pays et de la forêt toute proche. Cela sentait bon, et on s'y sentait bien. C'était ce que Scully se disait, allongée sur le lit de sa chambre. Elle avait pris sa douche, s'était changée, et attendait tranquillement que Mulder vienne la chercher. Pour se donner bonne conscience, elle avait relu le dossier consacré à Cooper, avait pris quelques notes dans son journal, mais rapidement elle avait cédé à l'atmosphère calme et reposante de l'hôtel ; en fait, elle somnolait presque, mais continuait de réfléchir à la discussion du restaurant : et si tout ça était vrai ? Ils avaient avalé bien des couleuvres, Mulder et elle, mais elle savait maintenant que parfois la réalité n'est pas aussi simple qu'on aurait pu l'espérer, et qu'aucune hypothèse ne devait être rejetée trop vite. Même l'honnêteté ; cela pouvait exister. Et parfois pire encore, faire confiance était la bonne solution ! Elle sourit, s'amusant à essayer d'être aussi cynique que Mulder. Elle l'imagina, allant et venant entre le lit et le bureau, refusant de croire aux informations du Major Briggs : le projet Bluebook, prolongée de façon secrète ; trop beau pour être vrai, c'est certain. De plus, s'il acceptait d'y croire, sa colère ne connaîtrait plus de limites ; cela serait de la haine, en fait, pure et simple, contre tous ces menteurs qui avaient refusé de l'aider dans sa quête, non pas par ignorance, mais par calcul. Qui l'avaient empêché de retrouver sa sœur, transformant sa vie en un combat douloureux et désespéré. Elle se dit soudain qu'elle ferait mieux d'aller lui rendre visite, discuter, essayer de l'apaiser. A part elle, avec qui pouvait-il parler ? "C'est un sale boulot, mais il faut bien que quelqu'un le fasse" marmonnait-t-elle en se levant, s'extirpant de son demi-sommeil, quand Mulder entra brutalement dans la chambre, comme un diable surgi de sa boite, criant presque : "Annie est sortie du coma ! Vite, on y va !".

7

7.1

C'est au pas de course que Mulder traversait le couloir en direction de la chambre d'Annie, et Scully tentait à la fois de rester à sa hauteur, et de le forcer à ralentir. "Mais enfin, Mulder ! A quoi ça rime ! Elle ne va pas s'envoler !" Il s'arrêta un instant, juste le temps de se retourner et de lui lancer "Qu'est-ce que tu en sais ?" Puis il se remit à courir, et entra essoufflé dans la chambre d'Annie Blackburn, s'arrêtant sur le seuil, bientôt rejoint par Scully. Le Docteur Hayward était au chevet de la malade, et lui tenait la main d'une manière plus paternelle que professionnelle. Elle sourit aux deux visiteurs, et leur chuchota un "Bonjour, entrez donc !" qui les décida à s'asseoir près d'elle. N'était la faiblesse de sa voix, elle ne portait aucune trace de fatigue : ses yeux pétillaient, son sourire illuminait, elle irradiait de bonheur.

- Bonjour ! Je suis l'agent Mulder, et voici l'agent Scully. Nous sommes du FBI. Nous aimerions vous poser quelques questions sur votre disparition. Pensez-vous être en état de nous répondre ? Docteur, pouvons-nous l'interroger ?

- Je n'y vois pas d'inconvénient, elle se remet très vite. Un vrai miracle, en vérité.

- Non, Docteur, ce n'est pas un miracle, ce sont vos bons soins et toute la gentillesse que j'ai sentie autour de moi. Et puis, comment continuer à dormir quand il fait une journée si merveilleuse ! Vous entendez les oiseaux ? Jamais je n'ai entendu de plus beaux chants de louange à la beauté de la vie, vous ne trouvez pas ? S'il y a un miracle, c'est le chant de ces oiseaux. Mais la vie elle-même est souvent un miracle, que Dieu recommence chaque jour. Allons bon ! Voilà que je retourne à mes discours de couvent ! Vous n'êtes sûrement pas venus pour cela, n'est-ce pas ?

- Nous aimerions que vous nous décriviez le plus précisément possible ce que vous vous rappelez de ces deux derniers jours, depuis votre enlèvement à la fin de l'élection de Miss Twin Peaks. Essayez de vous souvenir du moindre détail, ce qui vous peut vous paraître insignifiant peut nous être finalement très utile. Savez-vous où Windom Earle vous a amené ?

- Un endroit sombre, le cœur de la forêt. Il n'arrêtait pas de parler, comme un fou, mais c'était surtout je crois pour me terroriser. Il me parlait de sa femme, Caroline, de la façon dont il l'avait tué, et de Dale, de ce qu'il allait subir. Il était sur de devenir tout-puissant, une fois entré dans Black Lodge. Pour lui, j'étais une sorte de clé, j'allais lui permettre d'entrer à Black Lodge, parce que j'étais amoureuse, et que j'étais terrifiée. Je n'ai pas vraiment compris. Je ne sais pas où il m'a menée, je n'ai pas vu, j'étais à l'arrière du van, il faisait complètement noir. Mais je sais que c'était au cœur de la forêt, je la sentais autour de moi. Et puis tout a disparu. Là, ça devient confus. Excusez-moi... Elle prit le verre d'eau sur sa table de chevet, but quelques gorgées. Le Docteur Hayward lui proposa de s'arrêter, si elle était fatiguée.

- Non, je préfère traverser tout ça maintenant, afin de pouvoir tout oublier ensuite. Ce sont comme les fragments d'un rêve étrange et brouillon. Je me souviens de plusieurs chambres, séparées par des rideaux rouges. Des gens vivent là. J'ai eu l'impression d'y vivre longtemps, moi aussi. On peut sortir et revenir, quand on connaît les portes, et voyager dans le temps ! J'ai rencontré Laura Palmer, avant sa mort, j'avais un message pour elle, mais j'ai oublié lequel. Elle a vécu un moment avec nous, et puis un ange est venu la chercher. Elle semblait si heureuse ! Dale était là aussi, je sais qu'il est venu me chercher, et finalement il a réussi, n'est-ce pas ? Je sais qu'il traverse des moments très sombres actuellement, parce qu'à un moment donné, il s'est trompé de chemin ; mais mon rêve me dit qu'il en sortira grandi. Vous savez, c'est lui qui a convoqué l'ange qui a emporté Laura Palmer !

Elle se tut un moment, perdu dans ses visions, dans ses interrogations, dans ses espoirs. Mulder et Scully échangèrent un long regard, et Scully comprit avec surprise que pour une fois Mulder partageait son avis : Annie Blackburn délirait, et ses souvenirs ne leur seraient d'aucune aide.

7.2

Ce fut alors qu'une sonnerie d'alarme résonna à travers les couloirs, un hululement lugubre et insistant.

Le Docteur Hayward se leva, prenant appui sur le lit. Sa voix était altérée par la peur.

- C'est ... C'est l'ancienne sirène, celle du vieil hôpital ! Je crois ... que cela signifie qu'il y a le feu dans l'ancienne aile !

- La vieille morgue ! s'exclama Mulder, à moins que ce ne fut Scully. En tous cas, tous deux se ruèrent vers l'escalier du sous-sol. Quelqu'un essayait de faire disparaître les dernières preuves, ils avaient vécu cela si souvent ! Le son de la sirène devenait plus strident à mesure qu'ils se rapprochaient de la porte d'accès à l'ancienne aile du bâtiment, mais il ne masquait pas les bruits voraces des flammes, les craquements, les sifflements, les petites explosions. Ils sortirent leur arme, ouvrirent, et plongèrent dans la chaleur enfumée du début d'incendie.

7.3

De rares néons étaient restés allumés, qui trouaient l'obscurité de flaques de lumière, leur permettant de bondir à travers le large couloir, en des courses rapides, leur arme pointée vers le vide, conscients d'une sensation de danger difficilement analysable. Ce fut Mulder qui arriva le premier à la morgue. Une épaisse fumée, noire et âcre, en sortait, qui l'obligea à reculer, toussant violemment. Le hurlement de la sirène s'arrêta d'un coup, et le bruit de l'incendie devint omniprésent : il gagnait en intensité, et la fumée se faisait chaque seconde plus épaisse. "Trop tard, lança Mulder, remontons !" Une violente explosion retentit alors un peu plus loin dans le couloir, et ils crurent voir une silhouette s'éloigner en courant dans la fumée. Un homme plutôt petit, vaguement difforme. Ils se lancèrent aussitôt à ses trousses. La salle que l'homme avait quittée était maintenant déchirée par les flammes, qui vrombissaient comme un tuyau d'orgue affamé. Au premier croisement, ils se séparèrent pour essayer d'attraper l'incendiaire, qui s'enfonçait toujours plus loin dans le vieux bâtiment. L'éclairage était un peu meilleur ici, et la fumée moins épaisse. Mulder longeait le mur à pas rapides, jetait un œil dans chaque salle, son arme suivait le mouvement de son regard, prête à tirer. A chaque instant, il s'attendait à une nouvelle explosion. On entendait le feu derrière eux, qui se rapprochait lentement, et qui leur bloquait le chemin du retour, mais rien d'autre. Où l'homme était-il passé ? Et puis soudain il jaillit deux portes devant lui : c'était un homme barbu, portant un sac sur l'épaule, et, il s'en rendit soudain compte, manchot. Le fuyard se précipita vers un autre couloir, insensible à son cri "FBI ! Arrêtez !". Au moins Scully saurait qu'il l'avait en chasse. Mais l'homme courait vite. Et connaissait les lieux. Mulder s'aperçut qu'ils avaient fait demi-tour, et ils couraient maintenant en direction de l'incendie. Ce fut alors que Scully apparut à l'autre bout d'un couloir, bloquant l'issue. Elle aussi cria "FBI ! Arrêtez ou nous tirons !", et cette fois-ci, l'homme s'arrêta. Le bruit de l'incendie devenait violent, l'odeur de la fumée plus intense à chaque instant. Le feu se rapprochant les baignait de lumière rouge sombre. Le manchot était coincé contre le mur, les deux agents s'approchèrent lentement, arme pointée vers lui. Tous reprenaient leur souffle. Quand ils fut suffisamment prêt, Mulder lui cria :

- Qui êtes-vous ?

- Vous ne me connaissez pas ? Je suis MIKE ! Laissez-moi faire mon travail ! Je dois terminer ce qui a commencé. Ne vous mêlez pas de cela, vous ignorez les règles du jeu !

Il hurlait, et sa voix en était plusieurs en une seule. Tout son corps tremblait, comme parcouru de décharges ; il tenait son sac dans sa main comme une arme, prêt à frapper. Mulder et Scully s'arrêtèrent à distance respectueuse. Scully reprit :

- Quel jeu ?

- Il y a beaucoup de jeux ! Le mystère de la Passion, en quoi cela vous concerne-t-il, et pourtant vous portez une croix ! Connaissez-vous l'adversaire qui est en vous ? Êtes-vous prêt à perdre un bras, pour pouvoir lutter contre lui ? Je vous le répète, cette bataille est la mienne !

Mulder qui s'était rapproché de quelques pas lui cria à son tour :

- Qu'avez-vous fait du corps d'Annie Blackburn ?

- Annie Blackburn ne possède qu'un seul et unique corps, ne l'avez-vous pas vu ? On vous lance des leurres, et vous tombez dans les pièges ! Il faut regarder les mains du magicien, pas ses yeux !

- Mais qui est le magicien ?

- Je vous parle par métaphores, et vous n'entendez que les mots ! AAAAAAAAHHHH !

7.4

Tous les néons s'étaient allumés, un éclat d'une blancheur totale, comme un gigantesque coup de flash, qui les paralysa le temps suffisant pour que MIKE se précipite dans la pièce en face de lui, puis ils éclatèrent, projetant des myriades de morceaux de verre et de poudre, les obligeant à se protéger les yeux. La pièce où MIKE s'était précipité explosa à son tour, et divers débris enflammés atterrirent dans le couloir. Parmi eux, il y avait une fiole remplie de liquide, qui en se brisant dégagea une fumée verte. Scully saisit Mulder au coude et le força à reculer loin du gaz empoisonné.

La fumée se gorgeait maintenant de bouffées toxiques, qui leur arrachaient la gorge et les poumons. Ils essayèrent de s'éloigner au maximum de l'incendie, afin de trouver un peu d'air encore frais. Ils n'eurent heureusement pas à attendre trop longtemps avant de voir surgir des pompiers, lourdement harnachés, protégés par des masques à gaz, armés de torches et de haches, descendus dans les profondeurs de l'hôpital, comme une armée de soldats à l'apparence à peine humaine, pour combattre leur ennemi rituel. Ils entourèrent Mulder et Scully de combinaisons ignifugées de protection, et les firent traverser en courant la zone en proie aux flammes, pour rejoindre l'étage et la sécurité. En les voyant, le shérif parut profondément soulagé. Des médecins les examinèrent rapidement, mais ils n'avaient pas été empoisonnés par les gaz. Aussi Truman leur proposa-t-il de les amener au commissariat pour discuter de ce qu'il convenait de faire, désormais.

8

- Alors, vous avez rencontré MIKE ?

Sur la longue table de réunion s'alignaient des dizaines de doughnuts, de tous les types et de toutes les tailles, ponctués de Thermos de café. Une spécialité de Lucy, la secrétaire, leur avait-on expliqué. Les principaux adjoints du shérif étaient là : Hawk, l'indien taciturne, et Andy, un blond a qui il semblait manquer au moins la moitié du cerveau. La façon dont il avait parlé à Lucy semblait indiquer une histoire d'amour compliquée entre eux deux, ce qui confirmait le diagnostic. Les deux faisaient un couple parfait, se dit Scully, parfaits l'un pour l'autre.

- Oui. J'aimerais comprendre ce qu'il est devenu : la salle où il s'est enfui, était remplie de produits chimiques, et il les a fait exploser. Comment aurait-il pu survivre et s'échapper ? Les pompiers n'ont vraiment trouvé personne, en bas ?

- Non. Pas de rescapé, et pas de cadavre non plus.

- Et pas d'autre issue que cette porte ? Une sortie de secours, un conduit d'aération ?

- Non, pas d'issue de secours : c'est l'une des raisons pour lesquelles ce bâtiment a été abandonnée. Et il y a des grilles dans les conduits, à cause des rats, des mulots en fait, qui venaient de la forêt. On a vérifié : les grilles sont toujours là. Non, MIKE a disparu, tout simplement, une fois de plus. A croire qu'il s'est fondu dans la fumée.

Sans doute en ayant volé et emporté le corps laissé à la morgue, puisque lui aussi avait disparu.

Mulder était resté totalement silencieux, depuis que la réunion avait commencée. Il semblait plongé dans d'intenses réflexions, absent au reste du monde. Hawk le regardait fixement, comme s'il suivait le parcours de ses pensées. Finalement, il lui parla :

- Agent Mulder, je suis prêt à vous conduire à Glastonberry Grove, mais je ne suis pas sur que vous puissiez y entrer : le monde souterrain n'ouvre ses portes que selon ses propres règles, et ces règles-là, même mon peuple les ignore.

- C'est ça que vous voulez ? Entrer dans Black Lodge ?

Le shérif semblait stupéfait. Pourtant, pensa Scully, que faire d'autre ? Le shérif reprit :

- Peut-être faudrait-il en parler à Margaret. Vous vous rappelez, c'est la femme à la bûche. Son mari lui avait donné une fiole contenant un liquide spécial ; on aurait dit de l'huile de moteur, mais selon elle, cela permet de franchir la porte vers Black Lodge. Elle en avait donné à Cooper. Peut-être lui en reste-t-il ?

Mulder sembla se réveiller, regarda Truman avec un grand sourire, et se leva :

- Interroger cette dame. Voilà qui ressemble à un intéressant programme. Sans oublier la bûche, bien sur : je suis sur qu'elle a plein de choses intéressantes à nous dire. On y va, Shérif ?

9

9.1

Après avoir poussé la porte du restaurant R&R et avoir jeté un long coup d'œil panoramique dans la salle, le shérif annonça aux deux agents qui le suivaient :

- Vous voyez, elle est là. Elle est ici quasiment tous les soirs. Depuis que son mari est mort, elle ne se fait plus à manger.

Voyant qu'elle n'était pas seule, Mulder ne put s'empêcher d'ajouter son commentaire :

- Il n'y a pas que les repas qu'elle ait laissé tomber, vu son état. Et le Major Briggs passe souvent sa soirée avec elle ?

- Euh non, lui dîne en famille, habituellement.

- Oh oh !

Mais Scully lui jeta un tel regard glacé qu'il préféra se taire. Après tout, elle avait raison : imaginer une liaison entre la sorcière aux dents pourries et le major chauve était presque douloureux à son imagination. Surtout quand il se rappela que le major chauve était le fantôme du père de Scully.

9.2

Ni l'un ni l'autre ne parurent surpris de l'arrivée du shérif et des deux agents. Ils firent simplement de la place, et tous s'installèrent autour de la table. Margaret semblait avoir terminé son repas. Elle mâchait consciencieusement quelque chose, sans doute une sorte de chique, puisqu'elle crachait régulièrement dans son verre. Scully se jura de surtout ne pas tenter de regarder à l'intérieur du verre.

- Vous êtes venus interroger ma bûche, n'est-ce pas ? Depuis ce matin, elle est comme ... excitée. Mais elle n'a rien voulu me dire.

Le shérif regarda un instant Mulder et Scully, avec un regard désolé, puis se tourna vers sa voisine.

- Margaret, il s'est passé beaucoup de choses depuis ce matin. Il y a eu un incendie à l'hôpital. Et c'est MIKE qui l'a allumé. Maintenant, nous aimerions le poursuivre. Et pour cela, il se peut que nous ayons besoin d'entrer dans Black Lodge.

- Un incendie ... Par MIKE ... C'est intéressant ... Bien sur, il y a différents types d'incendie ... Êtes-vous sur que c'était MIKE ?

- Pourquoi nous posez-vous cette question, madame Lanterman ?

- Voyez-vous, jeune homme, ce n'est pas dans le style de MIKE de se cacher dans la fumée. Le feu ... ne devrait pas ... marcher à ses cotés ... Il s'est coupé le bras pour éviter cela ...

- Oui, il nous l'a dit. Il nous a dit qu'il s'était coupé le bras afin de pouvoir lutter contre lui-même. Cela a-t-il un sens pour vous ?

Ce fut le shérif Truman qui répondit :

- Quand MIKE a décidé de combattre BOB, il s'est coupé le bras. Mais j'ignore pourquoi.

Le Major Brigs intervint :

- Parfois, il faut marquer une rupture avec le passé. De manière forte. Il a peut-être du changer son corps pour pouvoir changer de vie. Une sorte d'exorcisme, un rituel de métamorphose. Ou alors un sacrifice.

- Bien. Mais cela ne me dit pas comment l'agent Scully et moi-même allons entrer dans Black Lodge.

- Chut ! Ma bûche veut me parler, maintenant.

Tous les regards convergèrent vers Margaret. Elle inclina la tête jusqu'à coller son oreille contre l'écorce, écouta un long moment, grimaçant parfois, puis enfin se redressa, en apostrophant violemment la bûche :

- Oui, on sait ! Ce n'est pas la peine de nous déranger si c'est pour répéter des banalités !

- Que vous a-t-elle dit, madame Lanterman ?

- "Les hiboux ne sont pas ce qu'ils semblent". Comme si quelqu'un l'ignorait ! Et aussi : "L'huile ! L'huile ! L'huile !". Je crois qu'elle veut que vous alliez là-bas. Venez ! Le flacon d'huile que mon défunt mari m'avait confié avant de mourir est dans ma voiture. Je l'avais porté à Cooper, mais il ne s'en est pas servi. Après tout, chacun trouve la porte qui lui convient le mieux !

En se levant, elle donna le signal du départ. Margaret en tête guida le shérif vers sa voiture, et les deux agents les suivirent. Le Major Briggs préféra rester sur place, et leur souhaita bonne chance quand ils le quittèrent.

9.3

Dehors, alors que le shérif partait chercher la fameuse huile, Mulder demanda à voix basse à Scully :

- Tu n'as rien dit dans le restaurant. Il y a un problème ?

- Non, non, ça va. Mais cette histoire de hiboux ... Tu te souviens, quand tu m'as réveillée, hier soir, je rêvais que j'étais un hibou ... J'ai des images de ce rêve qui me reviennent, maintenant. Et je n'aime pas tellement ça.

- Eh ! C'est moi le barjo de l'équipe ! C'est moi qui devrais faire des rêves prémonitoires !

- C'est pas drôle, Mulder.

Cependant, le shérif revenait, portant un flacon. Margaret suivait. Ce fut à elle que Mulder demanda :

- Et comment s'en sert-on ?

- Je ne sais pas. A vous de voir.

- Peut-être cela se boit-il ? Il ouvrit le flacon, poussa un cri dégoutté. Non, cela ne se boit pas ; en tous cas, moi, je n'en boirais pas.

- Ca pue ! L'odeur suffirait à convoquer les portes de l'enfer, risqua Scully, qui, voyant l'air scandalisé de Margaret, regretta d'avoir dit ça.

Finalement, le shérif et la dame à la bûche partirent en tête, dans la voiture du shérif, et les deux agents les suivirent, dans la leur.

10

Rapidement, ils quittèrent la route pour s'engager dans un sentier, qui s'enfonçait profondément dans la forêt. Les troncs énormes des pins que les phares balayaient d'une tache de lumière blanche qui tressautait au rythme des cahots rappelaient à Scully la fuite de Blanche-Neige dans le dessin animé de Disney. Quand ils s'arrêtèrent enfin dans une clairière, et que Truman vint leur dire que le reste du chemin devait être fait à pied, ils sortirent leurs lampes torches du coffre, et tous les quatre se mirent en marche vers Glastonberry Grove.

Il n'y avait pas un long chemin à faire. Margaret Lanterman les fit bientôt s'arrêter, et chuchota "C'est là.". C'était une toute petite clairière, entourée de sycomores. Au centre de cette clairière, il y avait une sorte d'espace noir, brûlé, comme si quelqu'un avait fait un feu à cet endroit. Ce foyer était entouré d'un cercle blanc, comme formé de cendres. Rien d'anormal donc. Sauf que le cercle était trop lumineux, comme s'il irradiait une sorte d'énergie. Que les sycomores tremblaient comme agités par un vent qui pourtant n'existait pas. Et que la forêt semblait s'être soudain tue ; quand on y prêtait attention, le seul bruit audible était un grondement sourd qui venait de sous le sol, comme une machinerie tournant au ralenti. Ou plutôt, se dit Scully qui se demanda d'où lui venait cette idée, comme le hululement d'un indien passé à la mauvaise vitesse. Tout en balayant la clairière des faisceaux croisés de leurs lampes, Mulder et Scully avaient dégainés, et s'approchaient du cercle blanc. Mulder posa la lampe, sortit le flacon d'huile, le déboucha, regarda un moment Scully, comme s'il cherchait en elle l'inspiration, puis versa l'huile sur le cercle blanc, le maculant de noir. Quand il eut fini, il reprit sa lampe, et regarda ce que le regard fasciné de Scully lui désignait. Dans l'obscurité de la clairière était apparu un immense rideau rouge, comme flottant dans l'espace, frôlant le sol, s'évanouissant à droite et à gauche là où il coupait le cercle des sycomores. Mulder se dirigea vers cette présence fantomatique, suivi de près par Scully. Le shérif les vit soudain disparaître. De là où il était, il n'y avait pas de rideau. Les deux agents avaient tout simplement disparus, comme il avait vu aussi disparaître Cooper, au même endroit, de la même manière.

- Eh bien, ils sont entrés. Quel avenir entre leurs mains ? interrogea Margaret.

Mais elle n'attendait pas de réponse.

11

11.1

Quand ils eurent traversé le rideau, Mulder et Scully se retrouvèrent dans une grande pièce sombre. Inexplicablement, leurs lampes s'étaient éteintes. La seule lumière provenait du coin opposé de la salle, où deux lampadaires éclairaient trois fauteuils, dont deux accolés. Derrière ces deux fauteuils, entre les deux lampadaires, une statue de type antique, d'une femme cachant sa nudité de ses bras. A coté du troisième fauteuil, une tablette, avec une lampe à abat-jour dessus. A part les deux agents, personne. Ils restèrent un moment immobiles, silencieux, à scruter l'obscurité. Quelque chose devait arriver.

Près du lampadaire, le rideau se souleva, et apparurent MIKE, et derrière lui, Annie. La jeune femme avait un regard absent, comme si elle avait été hypnotisée, ou comme si elle était en état de choc. MIKE, lui, était furieux. Il pointa la main vers un des fauteuils en criant "J'ai rempli ma part du contrat, je l'ai ramené ! Tu dois maintenant nous montrer le chemin vers White Lodge ! C'est ton devoir et c'est un ordre !". Dans le fauteuil était apparu un nain, plutôt âgé, dans un costume rouge. Le nain sourit "Nous étions attachés l'un à l'autre, autrefois, te souviens-tu ? C'est vrai, nous sommes liés par un contrat, désormais, mais tu ne peux pas quitter notre maison." Leurs voix sonnaient étrangement, comme ralenties, ou déformées, comme si l'air de la pièce était visqueux et empêchait le son de se propager normalement. La lumière s'intensifia. Elle semblait provenir d'à travers les rideaux. Rapidement, Mulder et Scully ne furent plus dans l'obscurité. Annie se tourna vers eux, et dit "Il semble que nous ayons des invités, ce soir !". Le nain jeta un coup d'œil dans leur direction, et claqua des mains. Aussitôt, la lumière devint hachée, en rapides flashs aveuglants, comme un puissant stroboscope. Cela dura quelques dizaines de secondes, puis l'éclairage redevint normal. Mais la pièce était devenue vide, et Mulder y était seul.

11.2

Quand la lumière revint, Scully constata que Mulder avait disparu, ainsi que MIKE, et le nain. Il n'y avait plus qu'Annie avec elle, qui s'était rapprochée. En fait, elles étaient maintenant toutes les deux au milieu de la pièce, et Scully tenait son arme des deux mains, pointée vers la jeune femme, qui lui souriait.

- C'est gentil d'être venu nous voir !

- Ne vous approchez pas ! Dites-moi ce qui se passe ici et où est passé Mulder !

Annie tendit la main vers le pistolet.

- Ceci ne vous sert à rien, ici.

Scully sentit avec horreur que son arme se transformait entre ses mains en une pâte extrêmement collante.

Annie lui souriait toujours, mais maintenant avec une lueur de compassion dans les yeux.

- Laissez-moi vous aider.

Elle se rapprocha, et saisit entre ses mains celles de Scully. Le bloc de colle qui avait été son pistolet se transforma en une poudre grise qui se répandit à ses pieds. Annie la relâcha. Elle avait l'air de s'amuser follement.

- Et voilà !

Scully recula de quelques pas. Elle n'avait plus qu'une envie, s'enfuir ; mais il fallait d'abord retrouver Mulder.

11.3

Mulder se retourna. La pièce avait la même dimension qu'avant le changement de lumière. Mais il y était seul, et les meubles avaient disparu. Quand on savait qu'elle existait, on distinguait sans problème l'ouverture dans le rideau, qui servait de porte, par laquelle étaient entrés MIKE et Annie. Il se dirigea vers elle, traversa. Derrière, il y avait un couloir. A une extrémité, une statue, celle-ci sans bras. De l'autre coté du couloir, une autre ouverture dans le rideau. Mulder l'ouvrit. Derrière, une autre salle, exactement semblable à la première. Mais dans celle-ci il y avait deux fauteuils, séparés par une table basse. Dans un des fauteuils, Cooper semblait l'attendre, et lui fit signe de venir s'asseoir.

11.4

Cela faisait maintenant plusieurs heures qu'ils attendaient. Truman se sentait de plus en plus mal à l'aise.

- Écoutez, Margaret. Cooper est sorti de cet endroit à moitié fou. Et j'y ai presque envoyé ces deux agents. Si il leur arrive malheur, je crois que je serais directement responsable. En tous cas, je me sentirais coupable. Je ne peux pas les abandonner comme ça. Je dois entrer moi aussi, et essayer de les aider.

- Vous ne savez rien de Black Lodge. Vous ne saurez pas comment les aider. Vous ne ferez que mettre votre propre vie en danger. Mais je sais que vous devez y aller. Le problème, c'est que vous ne savez même pas comment entrer !

- Peut-être ont-ils laissé un peu de votre huile ?

Il se dirigea vers le cercle, s'étonna qu'il soit redevenu complètement blanc. Pourtant, il avait vu Mulder y déverser le contenu de la fiole. Celle-ci traînait un peu plus loin. Mais elle était presque vide. Il la ramassa, et se retourna vers Margaret. Mais il s'aperçut alors qu'il était comme noyé dans un brouillard épais, qui se serait levé d'un coup, et qui s'épaississait à vue d'œil ; il n'y voyait plus rien, n'entendait plus rien, prisonnier d'une intense lumière blanche qui se refermait sur lui à toute vitesse.

11.5

Mulder et Cooper étaient assis face à face. Une sorte de round d'observation silencieuse, où peu à peu ils découvraient le respect qu'instinctivement ils ressentaient l'un pour l'autre. Puis Cooper parla.

- Prenez garde, ici, la vérité est changeante...

Mulder aurait voulu lui répondre, mais se rendit compte que parler demandait un effort spécial, le silence étant comme devenu solide, une substance invisible qui aurait remplacé l'air, qu'il fallait déchirer. Il eut un rictus, ne dit rien, se sentant tout à coup vieilli, fatigué ; puis il s'entendit prononcer une phrase, malgré lui, les mots sortant de sa gorge et franchissant ses lèvres, mais avec une voix qui n'était pas la sienne, des mots qu'il n'avait jamais eu l'intention de prononcer :

- Le corps est un tas d'os, l'esprit un sac de cendres.

Un éclat de rire violent, presque hystérique, retentit juste derrière lui. Il se retourna. Un homme, au visage anguleux, aux cheveux longs, au regard fou, la bouche ouverte, le regardait fixement. Ses mains, aux ongles sales, aux veines saillantes, étaient posées sur le dossier du fauteuil. Il respirait bruyamment, observait Mulder, se frotta les dents avec la langue. Mulder décida de cesser de le regarder, et se réinstalla correctement. Dans le fauteuil où avait été Cooper se tenait maintenant le nain, qui secouait lentement la tête, en signe de négation.

11.6

Annie avait été rejointe par une autre jeune femme blonde, aux yeux rougis par les larmes. Annie fit la présentation.

- Voici Laura. Elle a encore peur. Elle ne sait plus pourquoi. Mais c'est elle qui nous nourrit ici. Tous.

Scully se sentait devenir folle. La peur émise par Laura l'irradiait, aussi forte que la chaleur d'une colonne de flammes. Elle mit sa main devant son visage, comme un écran pour se protéger d'une lumière trop vive. Mais la peur passait en elle, l'imprégnait, son corps l'absorbait comme une éponge. Elle recula encore, tremblante de l'effort qu'elle faisait pour lutter contre cette invasion, jusqu'au rideau qui fermait la salle. Elle fit un pas de plus en arrière, traversa, se retrouva dans le couloir. La peur avait disparu. Elle tomba à genoux, croisant les bras sur sa poitrine, fermant les yeux, posant les mains sur ses épaules, se balançant lentement, essayant désespérément de retrouver ses esprits.

11.7

La lumière blanche avait disparu. La clairière aussi. Truman était maintenant dans une pièce vide. Il y avait du parquet au sol, et un papier peint marron sur les murs, qui représentait des taches, comme des moisissures. De la poussière, partout. Des endroits où le papier peint était fané, comme mangé par le soleil. Pourtant, il n'y avait aucune fenêtre. Uniquement des portes. Qui conduisaient à d'autres pièces, identiques à la première. Un réseau de pièces poussiéreuses, parfaitement lugubres, et parfaitement vides. Truman en fit plusieurs fois le tour, essayant de comprendre où il était. Enfin, parvenu de nouveau à son point de départ, il s'assit, légèrement désemparé, attendant que quelque chose se produise qui ait un sens.

11.8

Au bout d'un moment, Scully se remit debout. Elle jeta un bref regard sur la statue aux bras coupés, puis entra dans la seconde pièce. Celle-ci était quasiment plongée dans le noir. Un divan lui tournait le dos, dans le coin opposé, faiblement éclairé par un lampadaire.

11.9

- Non, non, je ne t'écouterai pas... Non, je ne veux pas... Tu n'as pas le droit de me demander ça...

Margaret pleurait sur sa bûche. Le cercle blanc à coté duquel elle était assise s'était rempli d'un liquide noir, que le vent ridait de courtes vagues. D'un des sycomores s'envola un hibou.

11.10

L'homme aux cheveux longs se traînait entre les deux fauteuils, presque à quatre pattes, regardant parfois l'un, parfois l'autre, parfois le plafond. Enfin, il prit appui sur la table basse, et hurla, la tête renversée :

- Je suis là, MIKE ! Mon nom est BOB, et tu ne peux rien contre moi !

La lumière redevint hachée. Mulder distingua BOB qui se dressait sur la table basse, grognant et grimaçant, puis disparut. La lumière redevint normale. Mulder était seul.

11.11

Margaret séchait ses larmes. Elle regardait en silence sa bûche, déposée au milieu du cercle, plongée dans le liquide noir. Elle la caressa un moment de la main, puis fouillant dans son sac, en sortit une boite d'allumettes.

- Je suis prête... Quand tu me le diras, je le ferai...

11.12

Truman s'était adossé à un des murs. Il avait posé son large chapeau devant lui, et regardait le plafond, quand le bruit d'une porte qui claque le fit bondir. Cela venait d'une pièce voisine, dans laquelle il se précipita, arme à la main, criant un "Qui est là ?" qu'il jugea aussitôt stupide. C'était une sorte de porte secrète qui avait claqué, une ouverture dans le mur, qui était maintenant ouverte, et qu'il n'avait pas remarqué précédemment. Peut-être venait-elle d'apparaître. Il entra prudemment dans le passage. C'était un couloir, d'à peine quelques mètres, fermé par un rideau rouge. Mais alors qu'il s'y engageait, une série d'images, s'imposant violemment à ses yeux, l'obligèrent à s'arrêter : une photo représentant l'endroit où il était, affichée sur un mur ; une chambre d'étudiante ; un escalier au-dessus duquel tournait un ventilateur ; puis un mur de flammes, sur lequel se détachait un hibou ; enfin, l'image d'un seul œil du hibou, soumis à un éclairage bizarre, qui le faisait ressembler à un cercle blanc rempli de liquide noir.

Truman recula, murmurant "La chambre de Laura Palmer...", mais la fausse porte derrière lui s'était refermée. Il essaya de pousser, de distinguer un verrou, une clenche, un système quelconque d'ouverture, mais il n'y avait rien. Poussant un profond soupir, il se dirigea vers le rideau rouge.

11.13

Seul ? Pas très longtemps. Le rideau se souleva pour laisser entrer Scully, regardant derrière elle, les jambes flageolantes, comme profondément choquée, peut-être même blessée, reculant ainsi jusqu'au fauteuil contre le dossier duquel elle prit appui, sans même avoir vu Mulder, qui, posant sa main sur son épaule, la fit vivement sursauter. Puis le reconnaissant, et murmurant son nom, elle trouva refuge dans ses bras, tremblante encore, alors qu'il essayait de la rassurer, sans comprendre ce qui avait pu lui arriver pour la mettre dans un état pareil.

- Là, là, calme-toi. Ca va mieux ?

- Ca va mieux, oui.

Elle resta là un moment, tandis qu'il lui caressait vaguement, machinalement, les cheveux, puis elle reprit, avec une voix changée.

- Tu sais, ici, je peux prendre le visage que tu veux. Lequel préfères-tu ? Celui-ci, peut-être ?

Interloqué, il la relâcha, puis la repoussa, horrifié. Ce n'était plus Scully qui le regardait droit dans les yeux, mais sa sœur, Samantha, avec un regard qu'il ne lui avait jamais connu, quelque chose de froid et de cruel, qui l'atteint comme une blessure empoisonnée.

Et tandis qu'elle se rapprochait lentement de Fox qui reculait plus rapidement qu'elle, il entendit une voix familière crier derrière lui :

- Mulder, cette fille n'est pas ta sœur ! C'est Laura Palmer, elle puise dans tes souvenirs pour te faire peur !

Il se retourna, et c'était bien Scully, solide sur ses jambes, suivie de près par Annie Blackburn, qui désignant du doigt la fausse Samantha, lui cria :

- Sors d'ici, Laura ! Sors d'ici tout de suite !

La femme en quelques secondes se transforma à nouveau, devenant effectivement Laura Palmer. Son regard n'était plus que deux fentes d'un rouge incandescent, une émotion qui était à la fois de la haine et de la peur, poussées à leur paroxysme. Néanmoins, elle obéit, et lentement, à reculons, courbée en avant, fixant Annie de ce regard terrible, elle quitta la salle.

11.14

Annie s'effondra dans le fauteuil le plus proche, celui contre lequel Laura s'était appuyée quelques instants plus tôt quand elle revêtait les traits de Scully.

- Que tout cela est fatiguant ! Et je m'ennuie tellement ! Il nous faudrait un peu de musique ! Que quelqu'un fasse de la musique, s'il vous plaît !

La lumière sembla faiblir un instant, puis se restabilisa, mais dans le second fauteuil, face à Annie, était apparu Dale Cooper. Il claqua des mains, d'une façon étrange, peu naturelle, puis du bras désigna le coin opposé de la pièce. Un cercle bleu s'y dessina, dans un halo tremblotant, une colonne de lumière bleue, comme émise par un projecteur invisible, et qui emprisonnait une jeune femme aux cheveux courts, qui se mit à chanter, les yeux fermés, tandis que toute la pièce s'emplissait d'une musique triste et douce comme un chagrin d'amour. La chanson parlait de départ et de séparation, et se demandait qui en devait être blâmé. Le temps soudain semblait s'être figé.

11.15

Truman constata que le rideau, une fois retombé derrière lui, fermait la pièce de toutes parts. Ici aussi, tout semblait abandonné. L'éclairage d'un rouge sombre permettait de distinguer quelques meubles dans un coin, rien de plus, dans un style démodé. Le son de ses pas résonnait sourdement, quand il se dirigea vers le fauteuil et le lampadaire éteint.

11.16

Il y eut un hurlement terrible, à faire trembler le sol et remuer les rideaux. Sur la table où il s'était dressé avant de disparaître venait de se rematérialiser BOB, qui secouait la tête en tous sens, essayant de se boucher les oreilles, et dont la voix se répercutait en échos violents dans toute la pièce. Dans sa colonne de lumière bleutée, la chanteuse sembla lutter un moment contre cette agression sonore, puis capitula, et disparut.

BOB tomba à terre. Il continuait de se boucher les oreilles, mais peu à peu ses cris se transformèrent en pleurs. Dans ses gémissements de bête apeurée, on pouvait entendre, en tendant l'oreille, le nom de Mike, qu'il appelait au secours.

11.17

Les flammes crépitaient doucement. Au milieu du cercle blanc, la bûche brûlait, et avec elle tout le liquide noir qui l'entourait. Une mince fumée s'élevait dans des volutes blanches, que Margaret scrutait comme pour y découvrir une vérité moins cruelle. Elle murmurait, tandis que quelques larmes finissaient leur course sur ses joues.

"Voilà, adieu. Adieu. Mon amour. Mon amour. Où t'en vas-tu, caché dans la fumée ? Tu m'abandonnes, une seconde fois. Pourquoi ? Le silence ... Pourrais-je supporter le silence ... Dis-moi adieu. Une dernière fois. Et je promets. Je n'aurai plus peur du feu ... Tu avais raison, il y a toutes sortes de feu. Oh ce silence ... J'ai froid... Tu me feras signe, tu m'expliqueras, tu me diras à quoi tout cela a servi, n'est-ce pas ? Mais ce silence, ce silence ... !"

Et peut-être est-ce la fumée qui irritant ses yeux provoqua de nouvelles larmes, qu'elle oublia d'essuyer, se balançant lentement d'avant en arrière, dans la clairière au milieu des sycomores, au milieu de la forêt pétrifiée par la blancheur glaciale du soleil levant.

11.18

Derrière le large fauteuil flanqué d'un lampadaire, Truman découvrit une table basse, formée d'une vitre posée sur des pieds en fer forgé. Et sur cette table, et couverte comme elle d'une fine couche de poussière grise, traînait une photo, qu'il reconnut aussitôt. C'était la photo de Laura Palmer, celle qui était affichée dans la vitrine du lycée. Il crut se souvenir qu'elle était affichée aussi chez ses parents. Une image de bonheur. Il passa sa manche sur la photo, pour en enlever la poussière, mais s'aperçut qu'il n'avait réussi qu'à la maculer bien plus, l'enlaidissant de lourdes traînées brunâtres. Truman serra la photo contre son cœur, sans même se rendre compte que tout autour de lui, la lumière devenait de seconde en seconde plus intense, avalant les murs, le rideau, les meubles, et bientôt Truman lui-même, dans un grand éclair d'un blanc si pur qu'il semblait invulnérable.

11.19

Quand cette lumière se dissipa, Truman n'était plus seul. Ou plutôt, il n'était plus au même endroit. Ou plutôt, c'était la même pièce, mais sans les meubles, et sans la poussière. A ses cotes, il y avait Mulder, et Scully, qui semblaient totalement absorbés par ce qu'ils regardaient. Mais lui ne voyait rien, encore aveuglé par la blancheur de sa traversée. Et puis, il vit. BOB, à genoux, comme suppliant, devant MIKE et le nain. MIKE posant la main sur l'épaule de BOB, et le nain faisant de même. BOB levant la tête, souriant, d'un sourire presque naïf, le sourire d'un enfant, que son visage avait encore du mal à fabriquer, par manque d'expérience, sans doute. Et il entendit derrière lui la voix de Cooper, leur disant qu'il était temps de rentrer, à présent. Il n'eut pas même le temps de se retourner que la blancheur de nouveau envahissait tout.

11.20

Margaret les vit apparaître d'un coup, trois corps allongés au fond de la clairière. Elle se leva d'un bond, puis s'approcha lentement. Il s'agissait bien de Truman, Mulder et Scully, tous trois inconscients. Elle se précipita vers les voitures, pour lancer un appel radio.

12

L'odeur était trop familière à ses narines pour qu'elle hésite ne serait-ce qu'une seconde : dès son réveil, Scully comprit qu'elle était à l'hôpital. Elle ouvrit lentement les yeux. Twin Peaks, se rappela-t-elle. Une lumière douce baignait la chambre, et un léger souffle agitait les rideaux. Ce devait être le milieu de l'après-midi.

- Bonjour, agent Scully. J'espère que vous avez bien dormi !

Elle se retourna brutalement, et reconnut l'agent Cooper, en chemise à carreaux de forestier et les cheveux soigneusement lissés, qui, de sa chaise adossé au mur, se pencha vers elle en souriant.

- Rassurez-vous, vous êtes en pleine santé. A votre réapparition, vous sembliez tous les trois extrêmement fatigués, mais rien de plus. Vous vous réveillez d'un sommeil parfaitement naturel. Ah, au fait, il est 4 heures de l'après-midi. L'agent Mulder et le shérif Truman sont dans une chambre à coté. Je crois qu'ils dorment encore...

- Merci de répondre à mes questions avant que je ne les pose !

Elle se cala dans ses coussins, où elle resta un instant, plongée dans une profonde réflexion, qui s'acheva par un geste de dépit de la tête, et elle se tourna anxieuse vers Cooper :

- Avons-nous subi une prise de sang, pour déterminer si nous étions d'une façon ou d'une autre drogués ? J'ai des souvenirs remplis d'hallucinations, où se côtoient toutes les personnes rattachées à votre dernière enquête. Une chambre rouge ... Dirigée par un nain ... Vous y étiez, d'ailleurs !

Le sourire disparut du visage de Cooper.

- Vous savez bien que ce n'était pas une hallucination, agent Scully. Je ne saurais déterminer la nature exacte de cet endroit, mais cette chambre rouge existe, et les habitants qui y logent aussi. Un reflet de notre monde, qui parfois émerge, puis replonge. J'ai la sensation qu'il est désormais replongé ; un équilibre a été restauré.

- C'est pour cela que vous êtes sorti de votre prison ?

- Une ombre s'est retirée. Et j'ai en partie retrouvé mon identité. Et la part qui me manque encore, je crois savoir qui la détient...

- Annie Blackburn ? Elle aussi était dans cette chambre rouge.

Un large sourire scia les joues de Cooper.

- Peut-être alors le Dale Cooper que j'ai abandonné là-bas pourra-t-il être aussi heureux que moi ici ! C'est un pays très accueillant. Et j'y ai mes attaches, désormais. Fonder une famille, aider le shérif à faire régner la paix et le bonheur...

- Ca semble être un beau programme !

Elle lui sourit en retour. Cooper se leva, lui tapota l'épaule, lui glissa "je vais chercher des nouvelles de votre collègue", et sortit. Dans le jardin, les oiseaux continuaient leur gazouillis béats. Scully se retourna dans son lit, et essaya fermement de se rendormir.

13

Ce ne fut que le lendemain que Mulder et Scully purent repartir, le docteur Hayward ayant décidé de les garder une nuit de plus en observation. Ils reprirent la même route qu'à l'aller, et c'était de nouveau Mulder qui conduisait. Scully, elle, essayait de rédiger la conclusion de son rapport.

- Finalement, il n'y a plus de cadavres en trop, plus d'agent Cooper réfugié dans une prison, Windom Earle semble avoir totalement disparu, que nous reste-t-il ?

- J'ai vu Margaret Lanterman ce matin ; tu sais, la Dame à la Bûche ? Eh bien, elle ne portait pas de bûche, ce matin. Peut-être peux-tu marquer ça : une bûche semble avoir mystérieusement disparue. Mais j'ai peur que cela ne justifie pas nos notes de frais.

Scully laissa son regard errer par la portière, et se faire happé par un panneau, qui annonçait, sous une peinture de deux montagnes enneigées, "Welcome to Twin Peaks, Population 51201".

- 51 201 ?? Je me demande où sont cachés tous ces habitants ???

- Au fond d'une chambre rouge, peut-être...

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